Théâ 2015-2016
Les élèves du collège Carnot (Auch

THEA
 
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Témoignage de l'enseignante
Témoignage des élèves
Diaporama du spectacle du 7 avril 2016 au théâtre de la ville d'AUCH

Participer à Théâ, c'est [...] réveiller les consciences, interroger notre monde...
 

Cette année, j'ai eu la chance de participer au projet Théâ, consacré dans le Gersà Suzanne Lebeau, dramaturge canadienne qui m'accompagne depuis de longues années, dont j'aime à la fois l'écriture et la sensibilité avec laquelle elle aborde notre monde.

J'ai choisi, à compter de décembre, de consacrer l'une de mes heures de français à ce projet. Tous les mardis matins, les élèves ont eu « atelier-theâtre ». Dans un premier temps, ils ont découvert L'Ogrelet, d'abord en classe, par le biais de la lecture à voix haute, puis à Cuzin, dans une mise en scène de la compagnie « 9 Thermidor ». Grâce au partenariat OCCE, Ligue de l'enseignement, ADDA, ils ont pu bénéficier, pendant une heure et demie, de l'intervention de Stéphane Boireau, comédien (l'ogrelet en personne!). S'est ensuite enclenché un travail de pratique théâtrale, pour explorer le corps, la voix, le rapport à l'autre, réveiller un peu cet imaginaire qui s'engourdit si vite, écouter l'autre, recevoir ses propositions, gagner en confiance, sortir la voix, ouvrir le visage, jouer avec les émotions, s'abandonner à ce qui peut parfois s'imposer à nous dans le jeu, estomper toutes ces petits crispations (épaules rentrées, mains nouées, jambes croisées...corps corseté en équilibre instable!), enlever petit à petit les gestes excessifs, inutilement démonstratifs, pour gagner en justesse (donner à voir la tristesse, cela peut passer par autre chose que "pleurer avec force sanglots dans ses mains")... Je ne détaille pas ici les nombreux exercices et jeux menés durant ces ateliers.Après avoir longuement hésité entre différentes pièces de Suzanne Lebeau, j'ai choisi Frontière nord (aux éditions Théâtrales Jeunesse). En effet, dans un tout autre cadre, en l'occurence celui de l'heure de vie de classe, mes élèves, marqués par l'actualité, avaient souhaité évoquer la question des migrants clandestins. De nombreuses interrogations avaient alors émergé. Quelques préjugés, aussi, qu'il me paraissait important de questionner, grâce à ce texte de Suzanne Lebeau...

J'ai tout d'abord proposé à mes élèves des situations d'improvisation (exemples : imaginez que vous découvrez un vaste chantier à la sortie d'Auch, que vous observez ; faites des hypothèses. / Même impro mais en faisant cette fois intervenir au bout de quelques minutes un élève qui sait: c'est un vaste mur...voir les réactions du groupe, en impro...).
Le texte n'est intervenu que dans un second temps : les élèves ont découvert les premières pages de la pièce. Des phrases tirées de Frontière Nord se sont mêlées aux phrases extraites des improvisations, que j'avais notées puis retenues après discussion avec les élèves. Je n'ai pas repris les personnages de la pièce, juste un « choeur d'enfants » et un « choeur de mères ».
Un second temps d'improvisation a eu lieu. Je donnais à mes élèves soit une phrase de départ (Avant que le mur soit construit, je... / Depuis que le mur est construit, je... / Quand je serai grand(e), je... ), soit une situation d'impro Le mur est là ; il mesure déjà plusieurs kilomètres de long, et le chantier se poursuit.Imaginez que les femmes se rejoignent sur la place du village et en parlent. + Que disent les mères quand elles attendent leurs maris, leurs fils les plus âgés, qui sont de l'autre côté du mur? / Imaginez que les enfants en discutent dans la cour de l'école, sur le chemin de l'école, sur le stade...). Après chaque impro, je demandais aux élèves-spectateurs ce qu'ils avaient aimé, ce qui leur paraissait intéressant. Je prenais moi-même des notes.
Puis nous avons retrouvé le texte de Suzanne Lebeau, poursuivi la lecture, et « tricoté » de nouveau les morceaux d'impros des élèves et les répliques de Suzanne Lebeau. Ce travail est difficile parce que l'on voudrait tout garder, ou parce que les élèves ne sont pas toujours spontanément d'accord sur les mots à reprendre de Frontière Nord, mais absolument passionnant. Les élèves se sont littéralement emparés du texte de Suzanne Lebeau.

S'est ainsi tissé petit à petit ce que nous avons présenté lors des Rencontres Théâ du jeudi 7 avril. Grâce à l'OCCE, les élèves ont pu bénéficier de l'intervention de Perrine Lurcel, comédienne. Son regard extérieur et ses conseils ont été précieux, notamment pour « élaguer » et clarifier. Le 7 avril, les élèves ont vécu une belle journée : atelier mené le matin avec Arthur Jullien (affiches où ils étaient invités à noter leurs questions à Suzanne Lebeau, à faire part de leurs impressions à l'issue de ce projet, et à écrire une phrase de leur présentation qui les avait marqués) ; répétition au théâtre d'Auch (hum, ce petit stress délicieux qui monte, doucement mais sûrement...) ; pique-nique dans le square Cuzin entre deux averses avec repli salle des Cordeliers ; découverte durant l'après-midi des présentations d'autres classes, et montée sur le plateau, pour dix minutes de jeu devant des spectateurs attentifs. J'ai pour ma part été impressionnée par le travail mené autour de L'Ogrelet et de Petit Pierre. Les écoles se sont emparées des textes de Suzanne Lebeau à la fois avec intelligence et tendresse. C'est d'autant plus fort que dans le cadre de Théâ, tous les élèves sont sur le plateau, et ce n'est pas rien...Théâ est un formidable projet, parce qu'il permet de découvrir l'univers d'un auteur (mes élèves ont écouté L'Ogrelet, lu des extraits de Salvador et de Souliers de sable, ainsi que Frontière Nord). Françoise du Chaxel, qui dirige la collection Théâtrales jeunesse, écrit qu'elle souhaite « emmener le jeune lecteur ou l'acteur débutant sur des territoires nouveaux ». Théâ, c'est vraiment ça...J'aime étudier Molière en 6ème ; mes élèves ont lu des extraits du Médecin volant et du Médecin malgré lui. Mais je suis aussi heureuse d'avoir exploré avec eux un peu du théâtre contemporain, et d'autres écritures théâtrales.

Ce que j'apprécie aussi, en tant qu'enseignante de lettres, c'est que Théâ nous permet d'aborder autrement ces questions : cohérence textuelle, procédés d'écriture, construction du sens du texte...Théâ nous incite par ailleurs à ne pas considérer le texte comme premier. Le détour par l'improvisation offre une entrée dans le texte intéressante; la construction de la représentation, qui n'est pas une mise en scène fidèle du seul texte, libère certainement le jeu des élèves. Je pense que ces derniers ont aimé découvrir et mettre ainsi en jeu l'un des textes de Suzanne Lebeau.
En outre, ce qui m'a paru important dans ce projet, c'est que les élèves ont travaillé sur un texte qui rend compte du monde d'aujourd'hui, ce monde qui érige des kilomètres de murs, établit des postes de garde, en pensant qu'ainsi les problèmes seront réglés. Des ressources, trouvées sur internet, ont été mises en ligne sur le blog de la classe, via l'ENT du collège. Participer à Théâ, c'est donc réfléchir à l'une des fonctions possibles de la littérature : réveiller les consciences, interroger notre monde...

Enfin, parce que « le théâtre est un concentré de vie » (Peter Brook), et donc d'émotions, je terminerai en soulignant combien Théâ m'a touchée. Pendant plusieurs semaines, c'est en effet à un acte de création que l'on assiste, avec ses piétinements, ses agacements, mais aussi d'immenses moments de bonheur : quand l'un de mes élèves, en atelier, ose dire à voix haute : « c'est bizarre, j'ai envie de pleurer madame », quand moi-même, en voyant mon groupe de « mères », je sens ma gorge se nouer parce que les mots sont à la fois simples et forts, parce qu'ils sont portés par de jeunes adolescentes, parce que se produit ce petit miracle du texte qui « sonne juste »...

(Mme Dorez, professeure de français au collège Carnot, Auch)